Le chocolat depuis sa découverte au XVII° siècle est un aliment noble et rare. C’est un précieux trésor qui symbolise la richesse, la générosité, l’espoir.
Dans Pain et chocolat de Franco Brusati (1973), Nino travailleur italien immigré, est condamné au chômage dans son pays et à la non-intégration en Suisse, où il y a du travail. D’abord serveur dans un restaurant, il perd son emploi à la suite d'un incident stupide. Expulsé vers l'Italie, il s'échappe du train qui le ramène et mène une existence clandestine, avec l'aide de son ex-voisine Elena, réfugiée grecque qui entreprend de l'aider à régulariser sa situation. Nino entre au service d'un compatriote milliardaire réfugié en Suisse. Ici le chocolat symbolise un pays, sa dimension économique. Quoi qu’il fasse, légalement ou clandestinement, Nino est seul, même s’il rencontre des compatriotes. Exclu des deux mondes, il en arrive à se demander qui il est.
Avec Le Chocolat de Lasse Hallström joue sur le parfum du scandale. Un coquet petit village français, dans les années 50. Une mère célibataire ouvre une chocolaterie face à l’église. Le maire prude et intolérant voit dans l’établissement une succursale de l’enfer. Tout l’art du chocolat c’est de redonner goût à la vie, ranimer les passions éteintes.
Fraise et chocolat de Tomas Gutiérrez Alea et Carlos Tabio (1993) aborde un tout autre thème : le goût amer du chocolat. En 1979, à la Havane, David est étudiant et communiste. Il aime la glace au chocolat. Diego, photographe, artiste dissident, aime les jolis garçons et les glaces à la fraise. Deux parfums, deux modes de vie. L’un et l’autre cherchent à se convaincre. Cette dualité permet de dresser un portrait amer et subtil de Cuba de l’époque : répression de l’homosexualité, mouchard, marché noir, paranoïa antiaméricaine.
Meilleur que le chocolat de Anne Wheeler (1999) nous livre le meilleur goût du chocolat : sa saveur essentielle, joueuse et éveillant tous les sens. Elle narre l’histoire d’une jeune femme qui travaille dans une librairie dont l'arrière-boutique lui sert de chambre à coucher. Sa mère surgit chez elle, juste au moment où elle tombe amoureuse d'une peintre. La mère ignore que sa fille a loué l'appartement d'une experte en jouets érotiques, partie en tournée de conférences. Anne Wheeler rompt ainsi avec l’idée que le chocolat est meilleur que le sexe. Elle laisse la mère et la fille se parler, se découvrir et découvrir les plaisirs de la chair. Le chocolat est tout de même moins bon que le péché originel !
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L’aliment far du cinéma : le chocolat
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Rire de l’industrie alimentaire
"Loin d’être constamment dans une critique acerbe de la société de consommation, le cinéma peut en rire et nous offrir de beaux moments ludiques.
Avec La soupe aux choux de Jean Girault (1981), nous découvrons une fable alimentaire. Deux paysans, vivant en retraite à la périphérie d’un village, sont portés sur deux choses : la soupe au chou et le vin. Un jour l’arrivée d’un extra-terrestre bouleverse leur univers étriqué. Une enfilade de borborygmes, de rots, de flatulences nous conduit à réfléchir sur le partage.
En 1966, le Grand restaurant de Jacques Besnard se joue des restaurants chics. Septime, patron d’un grand restaurant des Champs-Elysées, espionne et tyrannise ses employés. Les baisemains, les courbettes et flagorneries en tout genre sont réservés à la clientèle. A mesure des plats, nous prenons le pas de ces jeux de langage. Mais un jour tout bascule. La visite d'un chef d'Etat sud-américain vient bouleverser le quotidien. Le dictateur disparaît mystérieusement au dessert. Le propriétaire du restaurant est soupçonné par la police et poursuivi par des terroristes.
Mais c’est à L’Aile ou la cuisse de Claude Zidi (1976) que revient le rôle le plus moderne de la critique gastronomique. Bien des années avant José Bové ou Jean-Pierre Coffe, Charles Duchemin (Louis de Funès) combat la « malbouffe ». Critique culinaire, il est le cauchemar des restaurateurs, qu’il traque sans relâche sous différents déguisements. L’ennemi numéro un s’appelle Tricatel, spécialiste de la cochonnerie industrielle. Duchemin s’est donné pour mission sacrée de combattre cet antéchrist de la gastronomie (qui crée des poulets en tube, des salades à partir de pâte verte, etc.).
Plus proche de nous, plus contemporain, il nous faudrait évoquer longuement le film Super size me de Morgan Spurlock (2004). Le réalisateur, en pleine forme physique est prêt. C’est parti pour son premier Mac Déjeuner. Pendant un mois, il va manger chez McDonald. Ce documentaire, bâti chronologiquement autour du défi de son réalisateur, ne s’arrête heureusement pas à voir un type s’empiffrant de hamburgers. La majeure partie du film est constituée de différents reportages sur l’alimentation aux Etats-Unis, dans les écoles, les habitudes de consommation, les lobbys de l’industrie agroalimentaire, etc. C’est à la fois utile et indispensable à sa démonstration. La force de ce film est que Morgan Spurlock paie de sa personne. Il teste personnellement ce défi insensé et nous pouvons voir les changements qui le frappent tant physiologiquement que psychologiquement, avec l’avis et le regard des spécialistes à l’appui. C’est rythmé, ces démonstrations sont pertinentes et pleines de bon sens.
Ne finissons pas cet article sur le goût amer de la société de consommation. Revenons au plaisir, à un plaisir en particulier : le chocolat."
À suivre "L’aliment far du cinéma : le chocolat" -
L’anthropophagie à l’écran
"Avec Trouble Evry day Claire Denis joue sur la corde de la passion. L'image est séduisante, elle s'impose par son âpre sobriété. La réalisatrice pose sa caméra et embrasse le champ tel une Turner du cinéma. Précise et floue, elle montre l'intérieur et l'extérieur des personnages. C'est bien de ce conflit que semble vouloir traiter le film. Entre amour passionnel et amour cannibale la limite est ténue. Un suçon sur la peau, une morsure pas trop profonde, l'amour à mort, la "dévoration" de la chair désirée jusqu'à son paroxysme. Là est le vrai sujet, esquissé, esquivé, mais obnubilant : Coré, une femme très belle et très désirée, mange les hommes avec lesquels elle fait l'amour. Les images frôlent l'insoutenable. Elles nous interrogent.
Bien que ce film soit à l’origine de nombreux débats, il ne va pas aussi loin que Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato (1979). Il s’agit sans doute du film qui représente le mieux ces oeuvres poisseuses que chacun rêve de voir mais que personne n'ose visionner, de peur de braver un interdit quelconque, de franchir une limite qu'il vaut mieux ne pas franchir. Le film de Deodato évoque immanquablement des images terribles, des images d'ultra-violence, de viols, de tortures d'animaux, de climat insoutenable... Mais se nourrir c’est aussi cela : survivre.
Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant de Peter Greenaway (1989) nous livre l’histoire d’une passion dévorante. Richard, chef cuisinier français, observe ses clients. Le voleur, Albert, vient tous les jours avec sa femme, Georgina. Un soir, Georgina remarque un dîner solitaire qui devient son amant. Dix jours, dix repas, dix menus, le cuisinier complice de la femme et de son amant, le voleur acharné à se venger… Ce savoureux cocktail donne lieu à un déferlement de cynisme, de sadisme, de mort, à une fable sur l’égoïsme. Frontière indicible entre le dégoût et le plaisir.
Il en va de même dans le film Titus de Julie Taymor (1999), elle suit le drame shakespearien à la lettre tout en le transposant dans le temps. Tout se termine autour d’un repas au cours duquel les enfants sont hachés menus puis dévorés par leurs parents respectifs. Vengeance, cruauté, les mots sont à la bouche du déplaisir.
L’anthropophagie au cinéma « met sur la table » la distinction entre le cannibalisme réel (fait culturel institué propre à certaines sociétés) et le cannibalisme imaginaire, présent dans les productions mythiques et les contes des sociétés les plus diverses. Les mythes grecs, aussi bien que les contes amérindiens ou africains, sont remplis de thèmes tels que ceux de l’ogre, de la dévoration des descendants, de l’autocannibalisme. Ces films nous montrent que ces fantasmes renvoient à d’autres catégories, qui mettent en jeu, par exemple, la nécessité de l’exogamie ou les oppositions entre le comestible et le non comestible, entre la nature et la culture.
Pour compléter ce tableau, il nous faut faire le lien avec nos comportements alimentaires et pourquoi ne pas les pousser à l’excès comme dans La Grande Bouffe de Marco Ferreri (1973) ? Féroce satire des débuts de la société de consommation : quatre bourgeois, quatre amis (un juge, un restaurateur, un animateur de radio) décident d’appliquer à la lettre les oukases de la société de consommation. Sexe et bouffe. Bouffe, bouffe à outrance jusqu’à en mourir. Initiation à l’envers, fondée sur le mépris de soi et des autres."
À suivre "Rire de l’industrie alimentaire" -
Les saveurs du passé
"Les arts de la table, les assortiments de saveurs sont autant de bruissements du temps. Nous sommes aujourd’hui, hier a doucement chu, demain arrivera de sa verte démarche. Nous suivons les couteaux des cuisiniers, nous dessinons les saveurs des tomates sur un air italien dans Drei Sterne (Chère Martha) de Sandra Nettelbeck. Mais la cuisine outre les sentiments c’est une évocation du passé, une ode aux plaisirs gustatifs du temps et de l’histoire.
Avec Vatel (2000) de Roland Joffré, nous suivons les délices les plus fous d’un cuisinier de génie opérant à la cour du roi-Soleil. Nous sommes en 1671, Vatel doit organiser de somptueuses agapes pour toute la cour. Des impondérables réduisent à néant les festivités. Plongée au cœur de l’histoire, nous découvrons l’art de la création des recettes et des plats en sauce.
Tampopo (1986) de Juzo Itami, nous entraîne au cœur de la création contemporaine des soupes. Même si la recette du film est assez simple, elle nous fait découvrir les méandres du temps et de l’effacement des blessures. Ecoeuré par la médiocrité de sa soupe aux nouilles, qui manque de « corps et de tonus », un routier de passage décide d’aider une jeune veuve restauratrice à améliorer la qualité de sa cuisine. Juzo Itami peint ainsi savoureusement les rites culinaires japonais. Nous apprenons ainsi à déguster comme il faut la fameuse soupe aux nouilles, qui nous redonne une âme. Il faut caresser avec les baguettes la surface du bouillon, pour apprécier la brillance des pousses de bambou, le velouté des algues qui sombrent peu à peu, la fierté des oignons flottant, avant d’effleurer trois tranches de porc rôti, puis commencer à aspirer les nouilles, charnues et généreuses.
Avec Beignets de tomates vertes de Jon Avnet (1991), Ninny, une octogénaire, raconte à une ménagère l'histoire de deux jeunes femmes qui, dans les années 30, pendant la dépression aux Etats-Unis, eurent l’idée d'ouvrir un restaurant. Ainsi Ruth rencontre Idgie. L’une quitte son mari violent. L’autre soutient la cause des Noirs. Pour la bourgade où elles se trouvent cela fait beaucoup, elles décident ainsi d’ouvrir le Whistle Stop Café dont la spécialité est les beignets de tomates vertes. Saveurs d’Antan, les tomates sont fondantes, baignées dans une huile troublée qui fera face à l’histoire et aux ségrégations.
Clore une histoire, achever les rêves d’enfance, c’est que Le Dîner de Ettore Scola (1998) réussit fort bien. Dans une trattoria élégante viennent mourir les dernières utopies. Fanny Ardant est Flora la maîtresse du lieu. Elle est une sorte de cœur en hiver que courtise depuis toujours un maestro impérial et inutile. Parmi les clients : un professeur de philosophie revenu de tout, notamment de sa trop jeune maîtresse, enseignait que « l’esprit fait le corps tout entier », il n’y croit plus. Une croqueuse d’hommes s’effondre quand sa fille lui avoue vouloir porter le voile. Véritable antichambre de la mort, nous saisissons en plein vol les contradictions de Flora qui, au lieu de saisir l’amour passant à sa portée s’en détourne, lui préférant les enjeux sans risque d’une partie de scopa avec le maestro.
Évidemment pour dresser un tableau complet du lien entre les saveurs culinaires et l’art du passé, il me faudrait évoquer ici Kitchen Stories de Bent Harmer (2003) ou encore Dinner for one ou Le 90e anniversaire de Heinz Dunkhase (1963). Autant d’amuse-bouche agréable qui ne nous font pas penser à l’autre art culinaire adoré et cultivé par le cinéma : l’anthropophagie."
À suivre l'anthropophagie au cinéma